Le constat est sans appel et le résultat des courses était prévisible. La situation économique du pays va de mal en pis, au point que l’Etat peine à boucler son budget annuel. Cette situation ne pouvait pas rester sans conséquences sur les citoyens, dont le pessimisme ne cesse de se manifester. Grogne, protestations et blocage des sites de production, la crise socioéconomique est bien lancée en Tunisie. Les résultats du dernier sondage réalisé par Emrhod Consulting et publié jeudi viennent confirmer cette donne. En effet, peu nombreux sont les Tunisiens qui se montrent satisfaits de l’actuelle situation socioéconomique du pays ou du rendement des décideurs. Ainsi 84% des Tunisiens estiment que l’économie du pays se dégrade, alors que 51% des sondés se disent pessimistes pour l’avenir de la Tunisie contre 49% au mois d’octobre. Ce sont aussi 43% des Tunisiens qui pensent que la liberté d’expression est menacée. C’est dans ce contexte que le président du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes), Abderrahmane Hedhili, s’est montré inquiet au vu de la situation sociale et économique morose en Tunisie.
Comment expliquez- vous la montée des protestations en Tunisie ?
Tout d’abord, il faut souligner le fait que ces protestations sont nées à partir de revendications parfaitement légitimes, car nous ne pouvons pas, en aucun cas, réfuter le fait qu’il s’agit des aspirations des citoyens et notamment des chômeurs et des classes défavorisées, auxquelles les différents gouvernements qui se sont succédé après la révolution n’ont pas pu répondre. Ces protestations constituent la conséquence directe de plusieurs facteurs et c’est ce qui explique que dix ans après la révolution nous nous trouvons toujours dans de pareilles situations. Il ne faut pas oublier que la Tunisie enregistre annuellement plus de cent mille cas d’abandon scolaire, c’est ce qui fait qu’après la révolution nous avons cumulé un million d’élèves qui ont abandonné les bancs de l’école pour une raison ou pour une autre.
Ces élèves sont principalement issus des zones les plus défavorisées et les plus dépourvues en Tunisie. Ils sont exposés à tous les risques et à tous les maux sociaux, dont notamment l’immigration illégale. Vous voyez ? C’est un concours de circonstances qui fait qu’aujourd’hui nous nous trouvons dans cette situation de grogne sociale. Savez-vous que 12.400 Tunisiens ont atteint les côtes italiennes illégalement depuis janvier dernier ? C’est énorme. Plus de 12 mille autres jeunes ont été empêchés par les autorités tunisiennes de franchir illégalement les frontières maritimes. Cette situation sociale instable, cette montée des protestations étaient pour nous attendues, on ne peut malheureusement pas échapper à ce constat.
Mais ce qui pousse plus le bouchon, c’est que les différents gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution n’ont pu développer aucune vision, aucune conception pour prévoir cette triste réalité.
Au vu du grand nombre de mouvements protestataires qui se sont déclenchés simultanément, faut-il craindre une explosion sociale ?
Oui, c’est possible, il faut craindre une sorte d’explosion sociale en Tunisie. Je comprends le discours officiel, aussi celui des médias et des organisations de la société civile, mais ces chômeurs, ils sont dans une autre approche, ils vivent dans un autre monde, celui de la pauvreté, ils sont privés de tout, même des moyens de survie. Ils n’ont même pas de quoi subsister, la seule solution qui se présente pour eux est de protester, ils sont dans une approche de rupture totale avec l’Etat, nous avons remarqué cela dans le comportement des migrants irréguliers.
Comment peut-on expliquer les nouvelles formes de protestation qui prennent en otage les sites de production ?
Le dossier d’El-Kamour remonte à 2017. Nous sommes tous contre le blocage de la production en Tunisie, mais comme je l’ai expliqué, ces protestataires sont dans une autre approche, ils font appel à ce genre de méthodes car l’Etat n’a pas privilégié dès le début le sens du dialogue et de la négociation avec les différents mouvements protestataires. Je ne suis pas en train de justifier ces comportements, mais ces jeunes ont compris que s’ils ne bloquent pas la production, ils ne seront jamais écoutés. Et c’est ce qui explique que ce genre de protestations est devenu contagieux.
Peut-on dire que les différents problèmes et blocages sont à l’origine du pessimisme des Tunisiens ?
Écoutez, les problèmes économiques ont des retombées et des impacts sociaux. C’est un cumul de mauvais choix économiques qui nous a laissés dans cette situation extrêmement précaire. Tout le problème réside dans le modèle de développement. Depuis la révolution, nous n’avons pas révisé ce modèle de développement, pourtant cela a été l’une des revendications de la révolution. Les pauvres, les chômeurs se sont révoltés contre la corruption que favorise ce modèle de développement.